Pédagogie institutionnelle
Selon Fernand Oury (1920-1998), l’analyse du milieu éducatif comporte trois dimensions indissociablement liés, qui lui donnent équilibre et stabilité :
- une dimension matérialiste (Marx, Freinet) : l’apport de Freinet est d’abord technique. Le matériel dont l’enseignant dispose détermine les conditions (non suffisantes) d’une transformation pédagogique véritable en termes d’activité, de situations, de relations.
- une dimension sociologique (Lewin, Moreno) : il existe dans le groupe-classe des phénomènes dynamiques non réductibles à la somme des individus qui le composent : phénomènes de leader, de prises de pouvoir, ou comportements de suiveurs, de soumission, jeux d’alliances qui créent des sous-groupes. Ces effets de groupe génèrent des conflits qui doivent être élucider, pour favoriser la vie sociale et pour que la place de chacun soit reconnue.
- une dimension psychanalytique (Freud, Lacan, Dolto) : reconnu ou nié, l’inconscient est présent dans la classe. Quand la parole s’arrête, le symptôme « parle ». Bien que l’enseignant ne comprenne pas tout, qu’il se garde d’interpréter, il accueille la personne de l’élève dans sa globalité, en aménageant des lieux d’expression, de parole (place déterminante du langage), en permettant au sujet d’exister à part entière dans sa classe.
Les lignes directrices de la pédagogie institutionnelle, en dix points :
1 – Utiliser les techniques Freinet.
2 – Substituer aux « motivations-ersatz » (concurrence, notes, classements) une pédagogie de la réussite individuelle et collective.
3 – Remplacer la discipline de caserne par la discipline de chantier.
4 – Admettre que tous les enfants sont différents, que la classe homogène est un rêve.
5 – Aménager les progressions didactiques pour que l’école soit « sur mesure », pour que l’élève y retrouve le désir d’apprendre : chacun travaille à son niveau, à son rythme, selon ses possibilités actuelles.
6 – Reconnaître qu’en éducation, toute relation duelle, bonne ou mauvaise, est nocive. Des médiations entre l’enseignant et l’élève sont indispensables.
7 – Soutenir les échanges matériels, affectifs et verbaux, qui sont la condition de tout progrès (échange implique réciprocité).
8 – Accepter que les tensions et conflits sont non seulement inévitables mais encore nécessaires, et qu’ils se résolvent en passant par la parole.
9 – Concevoir l’institution comme une réponse à des besoins ressentis et exprimés, donc créée et modifiable par le collectif : il s’agit de construire un loi qui permette à chacun d’être respecté (« la simple règle qui permet d’utiliser le savon sans se quereller est déjà une institution »). On appelle aussi « institution » les différents outils et techniques mis au point par la pédagogie institutionnelle.
10 – Construire un cadre éducatif basé sur "les 4 L" :
- un lieu, la classe, où l'élève puisse être "je" au milieu des autres ;
- des limites (de lieu, de temps, de pouvoir), pour permettre à chacun d'avoir sa place au sein du groupe ;
- la loi, matérialisant ces limites, protégeant les conditions de l'échange
- le langage, support des échanges, qui peut alors se déployer sereinement
Les pratiques de la pédagogie institutionnelle travaillent la question suivante : qu’est-ce qui fait exister l’élève comme sujet de son éducation ? Deux réponses sont apportées.
Premièrement, accueillir l’élève, lui faire sa place - singulière parmi les autres - lui permettre d’exister tel qu’il est, comme il est, là où il en est de ses apprentissages didactiques et de ses comportements sociaux.
Deuxièmement, lui permettre d’accéder à cette position d’auteur de lui-même, progressivement, par le contrôle collectif, la confiance et la sécurité. Les conditions de l’existence de l’élève « sujet » sont rendues possibles grâce à l’inscription dans les lieux, des temps, des espaces où le sujet sait qu’il sera reconnu, que sa parole sera entendue, aura « droit de cité ». La prise de responsabilités diverses, adaptées aux possibilités du moment participe de cette existence. Enfin, les ceintures - particulièrement les ceintures de comportement - sont un outil essentiel de reconnaissance des progrès et d’accession à cette position d’auteur de soi-même, responsable, en conquête progressive d’autonomie.
Robbes, B. (2014). Introduction à la pédagogie institutionnelle. Conférence prononcée à l’Alliance Française de Paris, 15 janvier 2014, CASNAV/AFPIF/AFEF.